Près d’un siècle…

Bagimont

Ghislaine Raulin, 7 octobre 2012

Une vie, près d’un siècle à Bagimont. Depuis 1917, cela en fait des milliers de jours et de nuits ! Et cet après-midi,   Ghislaine a quitté Bagimont. Ce lundi 15 octobre 2012, Madame Ghislaine Raulin est partie à Theux. Elle dormira ce soir dans une maison de retraite. Par la fenêtre de la voiture qui l’emmenait, ses mains lançaient des au revoir.

Hier, Ghislaine a coupé des branches des hortensias plantés de part et d’autre du chemin d’entrée à sa maison. Cela faisait longtemps qu’elle en parlait. Les branches sont là encore par terre.
Hier, deux valises étaient préparées dans le salon-chambre à coucher. Ce matin, il n’en restait qu’une. L’autre avait été défaite, rangée et les vêtements déposés sur une chaise.
Ce matin aussi, plus moyen de retrouver le pot à café. Elle l’a cherché à petits pas, partout, longtemps, dans les armoires, dans la pièce d’à côté. Ce matin, elle n’a pas non plus remarqué le trou à son pull, elle qui s’habille avec coquetterie, porte colliers et broches de rien du tout.

C’est vrai que depuis quelques mois, Ghislaine marche avec lenteur, tombe parfois, oublie ceci et cela. Et le mardi et jeudi, la camionnette rouge ne peut plus l’emmener à Sugny, au home, repasser les draps.
Et surtout, Ghislaine, depuis peu, parle d’ennui et de solitude : l’hiver aurait été long et difficile, seule à Bagimont.

Theux. Quel bouleversement que de quitter, après un siècle, son village natal !
C’est la vie, entend-on. Oui, la vie sans Ghislaine à Bagimont, ce sont les deux battants de la porte d’entrée qui ne sont plus ouverts, par tous les temps, tout au long de la journée. La vie à Bagimont, ce sera sans Ghislaine assise dehors, en vigie de la rue principale. La vie, ce sera sans le sémaphore de ses grands gestes pour convier le passant à converser ou boire un verre. Ce sera sans les traits d’esprit d’un sacré fichu caractère. Mais du caractère, il en faut – non ? – pour vivre si longtemps seule et digne, dans le silence de la surdité.

C’était fin de l’été 2010. Un dimanche matin de septembre ensoleillé. Dehors sur le pas de sa porte, assis sur les chaises de plastique blanc, nous avons parlé haut puis savouré le silence de Bagimont. Le coq d’or à la pointe du clocher brillait dans le ciel bleu. Ghislaine a regardé la direction qu’indiquait la tête de la girouette : Ah, il fera encore beau demain ! 
Une brise s’est levée. Elle donnait des baisers. Si doux à Bagimont.
Alors dans le silence, Ghislaine a dit : On est heureux, hein !

 

Bagimont

Ghislaine Raulin, 15 septembre 2011

 

9 commentaires pour “Près d’un siècle…”

  1. Nadine dit :

    Merci Etienne, ton texte est très beau, très touchant, j’en ai les larmes aux yeux.
    C’est vrai que depuis 44 ans je vois Ghislaine là tous les jours et ce matin quand je suis partie travailler j’ai pensé que quand je rentrerais à 15h, elle ne serait plus là et bien je dois dire que ça m’a donné le cafard et que ça va faire bizarre de ne plus la voir, je pense qu’elle va nous manquer!

  2. Poncelet Nathalie dit :

    Ah, Ghislaine, elle va nous manquer :’-( Malgré ses coups de cannes, ses « imbécile » ses « bababababa « , ses « dépèchez-vous » et j’en passe……… On rigolait parfois bien avec elle ! Le dialogue était bien compliqué car elle n’entendait plus rien et on dialoguait par écrit . Il n’était plus possible qu’elle reste dans sa maison pour l’hiver, elle faisait trop d’imprudences. C’est moi qui lui ai préparé ses valises mais elle ne l’a pas vu, heureusement. Comme je me doutais, elle a rangé le linge se demandant se que tout ça faisait là !
    Un pilier de Bagimont s’en va, elle va laisser un grand vide dans le village…..
    J’ai le coeur serré car malgré tout, c’était une place où j’aimais bien d’aller……
    Au revoir Ghislaine et finissez heureuse dans votre nouvelle maison !
    Nathalie

  3. jean paul Raulin dit :

    Ce texte très gentil est très touchant, il reflète bien l’atmosphère de Bagimont.

  4. nancy dit :

    De passage par hasard ce samedi à Bagimont. Il y drachait et pourtant je suis tombée sous le charme de ce paisible petit village.
    Quel beau texte que celui consacré à cette habitante de toujours. Beaucoup de tendresse, d’émotion… Je ne la connais pas mais c’est difficile de la voir quitter tous ses repères pour aller en maison de retraite.
    Bel éloge.

    • EB dit :

      Merci à vous. Et bienvenue quand vous voulez…

      • Raulin dit :

        Nous avons le regret de vous annoncer le décès de Ghislaine ce vendredi 10 octobre au home franchimontois de Theux. Bien intégrée et appréciée au home malgré son caractère ardennais légendaire, elle est partie en toute quiétude dans son sommeil à l’âge de 97 ans. Elle retournera à Bagimont ce lundi à 15h.

  5. Malika dit :

    Tout est dit dans ce texte elle nous manquera, sacrée Ghislaine, on ne l’oubliera certainement pas. Figure emblématique du home où elle venait repasser les mardi et jeudi, où on riait de ses blagues et de son « caractère » qui faisait d’elle une grande DAME!!!

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